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Gradualisme.md
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3 | 3 | # Tactiques et stratégies |
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5 | 8 | Auteur : Enrico Malatesta, octobre 1925 |
6 | 9 | Source: *The Method of Freedom: An Errico Malatesta Reader. In The Anarchist Revolution: Polemical Articles 1924–1931, edited and introduced by Vernon Richards (London: Freedom Press, 1995), p.82–87. Originally published as “Gradualismo,” Pensiero e Volantà (Rome) 2, no.12 (1 October 1925)*. |
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8 | 13 | Note personnelle – Par X, traductrice |
9 | 14 | « *Enrico Malatesta développe dans cet extrait le « gradualisme révolutionnaire ». Cette notion est une porte d’entrée sur la compréhension de l’insurrectionnalisme. Elle met aussi en défaut le principe de « Révolution » entretenu par les organisations marxistes et anarchistes. Malatesta met en valeur que l’anarchisme ne pourra pas prendre forme dans une action militaire seule (aka la Révolution) mais dans une mise en place graduelle de contre-pouvoir et d’alternatives. Et qu’une révolte ne peut mener qu’à l’autoritarisme si elle n’est pas accompagnée par l’émergence d’une société alternative en parallèle.* » |
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11 | 16 | Vous pouvez lire l’article original en fin de page (*English version at the end of the document*). Références en bas de document. |
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15 | 21 | Au cours des polémiques qui surgissent entre anarchistes sur la meilleure tactique pour réaliser ou approcher la création d'une société anarchiste - et ce sont des polémiques utiles et même nécessaires quand elles reflètent la tolérance et la confiance mutuelles et évitent les récriminations personnelles - il arrive souvent que les uns reprochent aux autres d'être des gradualistes, et que ces derniers rejettent le terme comme s'il s'agissait d'une insulte. |
16 | 22 | Pourtant, au sens propre du terme et dans la logique de nos principes, nous sommes tous des gradualistes. Et nous devons tous l'être, quelle que soit la manière dont nous le sommes. |
... | ... | @@ -21,25 +27,31 @@ Il en va de même pour le mot "transformiste". Qui nierait que tout dans le mond |
21 | 27 | Il serait bon de mettre un frein à l'habitude d'attribuer aux mots un sens différent de leur sens originel et qui donne lieu à de telles confusions et incompréhensions. Mais comment le faire, c'est une autre affaire, surtout quand le changement de sens est une tactique délibérée de la part des politiciens pour déguiser leurs objectifs iniques derrière de belles paroles. |
22 | 28 | Il est donc peut-être vrai que le mot gradualiste, appliqué aux anarchistes, pourrait finir par décrire en fait ceux qui utilisent l'excuse de faire les choses graduellement, au fur et à mesure qu'elles deviennent possibles, et en dernière analyse ne font rien du tout - soit cela, soit ils vont, s'ils vont du tout, dans une direction contraire à l'anarchie. Si tel est le cas, le terme doit être rejeté. Cependant, le sens réel du gradualisme reste le même : tout dans la nature et dans la vie change par degrés, et cela n'est pas moins vrai pour l'anarchie. Elle ne peut apparaître que petit à petit. |
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24 | 31 | Comme je le disais plus haut, l'anarchisme est nécessairement gradualiste. |
25 | 32 | L'anarchie peut être vue comme la perfection absolue, et il est juste que ce concept reste dans nos esprits, comme un phare pour guider nos pas. Mais il est évident qu'un tel idéal ne peut être atteint d'un seul coup, en passant de l'enfer du présent au paradis tant désiré de l'avenir. |
26 | 33 | Les partis autoritaires, c'est-à-dire ceux qui croient qu'il est à la fois moral et opportun d'imposer par la force un ordre social donné, peuvent espérer - en vain ! - que lorsqu'ils arriveront au pouvoir, ils pourront, en utilisant les lois, les décrets... et les gendarmes, soumettre indéfiniment tout le monde à leur volonté. |
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27 | 35 | Mais de tels espoirs et souhaits sont inconcevables pour les anarchistes, car ceux-ci ne cherchent à imposer que le respect de la liberté et comptent sur la force de persuasion et les avantages perçus de la libre coopération pour la réalisation de leurs idéaux. |
28 | 36 | Cela ne veut pas dire que je crois (comme, par polémique, un journal réformiste peu scrupuleux et mal informé me l'a fait croire) que pour réaliser l'anarchie il faut attendre que tout le monde devienne anarchiste. Je crois au contraire - et c'est pour cela que je suis révolutionnaire - que dans les conditions actuelles, seule une petite minorité, favorisée par des circonstances particulières, peut arriver à concevoir ce qu'est l'anarchie. Ce serait un vœu pieux que d'espérer une conversion générale avant qu'un changement ne se produise réellement dans le type d'environnement dans lequel l'autoritarisme et le privilège prospèrent aujourd'hui. C'est précisément pour cette raison que je crois à la nécessité d'organiser l'avènement de l'anarchie, ou en tout cas de ce degré d'anarchie qui deviendrait progressivement réalisable, dès qu'un degré suffisant de liberté aura été conquis et qu'il existera quelque part un noyau d'anarchistes suffisamment fort numériquement et capable de se suffire à lui-même et d'étendre son influence au niveau local. Je le répète, il faut s'organiser pour appliquer l'anarchie, ou le degré d'anarchie qui devient progressivement possible. |
29 | 37 | Comme nous ne pouvons pas convertir tout le monde d'un coup et que les nécessités de la vie et les intérêts de la propagande ne nous permettent pas de rester isolés du reste de la société, il faut trouver les moyens de mettre en pratique le plus possible d'anarchie parmi les gens qui ne sont pas anarchistes ou qui ne sont que sympathisants. |
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30 | 39 | Le problème n'est donc pas de savoir s'il faut procéder graduellement, mais de rechercher la voie la plus rapide et la plus sincère qui conduise à la réalisation de nos idéaux. |
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32 | 42 | Dans le monde entier, aujourd'hui, la voie est bloquée par des privilèges conquis, à la suite d'une longue histoire de violences et d'erreurs, par certaines classes qui, outre la supériorité intellectuelle et technique dont elles jouissent du fait de ces privilèges, disposent de forces armées recrutées parmi les classes soumises et les utilisent quand elles le jugent nécessaire, sans scrupules ni retenue. |
33 | 43 | C'est pourquoi la révolution est nécessaire. La révolution détruit l'état de violence dans lequel nous vivons actuellement et crée les moyens d'une évolution pacifique vers toujours plus de liberté, plus de justice et plus de solidarité. |
34 | 44 | Quelle doit être la tactique des anarchistes avant, pendant et après la révolution ? |
35 | 45 | Sans doute la censure nous interdirait-elle de dire ce qu'il faut faire avant la révolution, pour la préparer et pour la faire. En tout cas, c'est un sujet mal traité en présence de l'ennemi. Il est cependant bon de rappeler qu'il faut rester fidèle à soi-même, diffuser la parole et éduquer le plus possible, éviter toute compromission avec l'ennemi et se tenir prêt, au moins en esprit, à saisir toutes les opportunités qui pourraient se présenter. |
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37 | 48 | Et pendant la révolution ? |
38 | 49 | Je commencerai par dire que nous ne pouvons pas faire la révolution tout seuls et qu'il ne serait pas souhaitable de le faire. Si l'ensemble du pays n'est pas derrière elle, avec tous les intérêts, réels et latents, du peuple, la révolution échouera. Et dans le cas, loin d'être probable, où nous remporterions seuls la victoire, nous nous trouverions dans une position absurdement intenable : soit parce que, par le fait même d'imposer notre volonté, de commander et de contraindre, nous cesserions d'être des anarchistes et détruirions la révolution par notre autoritarisme ; soit parce que, au contraire, nous nous retirerions du terrain, laissant à d'autres, aux buts opposés aux nôtres, le soin de tirer profit de notre effort. |
39 | 50 | Nous devons donc agir avec toutes les forces progressistes et les partis d'avant-garde pour attirer la masse du peuple dans le mouvement et éveiller son intérêt, afin de permettre à la révolution - dont nous ferions partie, parmi d'autres - de produire ce qu'elle peut. |
40 | 51 | Cela ne signifie pas que nous devions renoncer à nos objectifs spécifiques. Au contraire, nous devrions rester étroitement unis et distinctement séparés des autres en luttant en faveur de notre programme : l'abolition du pouvoir politique et l'expropriation des capitalistes. Et si, malgré nos efforts, de nouvelles formes de pouvoir apparaissaient pour entraver l'initiative du peuple et imposer leur volonté, nous ne devrions pas y participer, ni leur accorder la moindre reconnaissance. Nous devons faire en sorte que le peuple leur refuse les moyens de gouverner, c'est-à-dire les soldats et les revenus, faire en sorte que ces pouvoirs restent faibles... jusqu'au jour où nous pourrons les écraser une fois pour toutes. |
41 | 52 | En tout cas, nous devons revendiquer et exiger, par la force s'il le faut, notre pleine autonomie, le droit et les moyens de nous organiser comme nous l'entendons et de mettre en pratique nos propres méthodes. |
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43 | 55 | Et après la révolution, c'est-à-dire après la chute du pouvoir et le triomphe final des forces de l'insurrection ? |
44 | 56 | C'est là que le gradualisme prend tout son sens. |
45 | 57 | Nous devons être attentifs aux problèmes pratiques de la vie : la production, le commerce, les communications, les relations entre les groupes anarchistes et ceux qui conservent la foi en l'autorité, entre les collectifs communistes et les individualistes, entre la ville et la campagne. Il faut veiller à utiliser à bon escient les forces de la nature et les matières premières, s'occuper de la distribution industrielle et agricole - selon les conditions qui prévalent à l'époque dans les différents pays - de l'éducation publique, de l'aide à l'enfance et aux handicapés, des services sanitaires et médicaux, de la protection tant contre les criminels de droit commun que contre ceux, plus insidieux, qui continuent à vouloir supprimer la liberté d'autrui dans l'intérêt d'individus et de partis, etc. Les solutions à chaque problème doivent non seulement être les plus économiquement viables, mais aussi répondre aux impératifs de la justice et de la liberté et être les plus susceptibles de laisser ouverte la voie à des améliorations futures. Si nécessaire, la justice, la liberté et la solidarité doivent avoir la priorité sur les avantages économiques. |
... | ... | @@ -47,6 +59,8 @@ Il n'est pas nécessaire de penser à tout détruire en croyant que les choses s |
47 | 59 | En d'autres termes, il faut combattre l'autorité et les privilèges, tout en profitant des avantages que la civilisation a conférés. Nous ne devons rien détruire de ce qui satisfait, même mal, les besoins humains - jusqu'à ce que nous ayons quelque chose de mieux à mettre à la place. |
48 | 60 | Intransigeants à l'égard de toute forme d'imposition ou d'exploitation capitaliste, nous devons être tolérants à l'égard de toutes les conceptions sociales qui prévalent dans les divers groupements humains, pourvu qu'elles ne portent pas atteinte à la liberté et à l'égalité des droits d'autrui. Nous devons nous contenter d'un progrès graduel, tandis que le niveau moral des peuples s'accroît, et avec lui les moyens matériels et intellectuels dont dispose l'humanité, et tout en faisant évidemment tout notre possible, par l'étude, le travail et la propagande, pour hâter l'évolution vers des idéaux de plus en plus élevés. |
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50 | 64 | J'ai trouvé ici plus de problèmes que de solutions. Mais je crois avoir présenté succinctement les critères qui doivent nous guider dans la recherche et l'application des solutions, qui seront certainement nombreuses et varieront selon les circonstances. Mais, en ce qui nous concerne, elles doivent toujours être cohérentes avec les principes fondamentaux de l'anarchisme : personne ne commande personne, personne n'exploite personne. |
51 | 65 | Il appartient à tous les camarades de réfléchir, d'étudier, de se préparer, et de le faire avec toute la rapidité et la rigueur voulues, car l'époque est "dynamique" et nous devons être prêts à faire face à tout ce qui peut arriver. |
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