Autrice : Crabi - Liaison commune de Lyon - Fédération anarchiste - 07 / 05 / 2025
Chapitres
Parties futures à développer
Définir Intersec
Historique du Terme
Notre intersectionnalité
Les collectifs
Les luttes portées par les autrices
Le classisme
L’isolement, sectarisme et sacrifice militant
« La pertinence du fonctionnement de nos organisations « militantes » doit être remise en cause. Il existe un gouffre entre la population et le milieu militant qui rend impossibles toutes véhémences à la constitution de collectifs militants. Aujourd'hui, seuls des événements sociaux ponctuels amènent à de l'engagement temporaire. Le reste du temps, les collectifs peinent à se constituer, à perdurer ou bien à mobiliser.
Patricia Vendramin1 définit l'engagement militant comme la triple rencontre entre l'individu, une organisation et une cause. L'engagement se produirait lorsqu'un.e individu se retrouve dans les idées et dans les pratiques d'une organisation. Pour assurer cet engagement dans le temps, l'établissement d'une élite militante est assuré, celle-ci associée à une grammaire, à une doctrine ou à des postes de carrières.
Alors, je propose de réfléchir sur cette question d'engagement militant, qui mènent à la constitution en France d'organisations difficiles et complexes. Très souvent forcées de se diviser pour survivre. Quitte à ne servir pour finir qu'à se maintenir à rien faire. […]
L'engagement « contemporain » selon Jacques Ion2 se caractérise par une activité diversifiée par des causes et des moyens d'actions marquée par une certaine attitude « responsable » face aux enjeux actuel. Contrairement aux engagements idéologiques du passé, il serait plus personnel, ponctuel et souvent local, avec un accent sur la responsabilité individuelle : l'individu cherche à contribuer au bien-être social tout en reconnaissant la complexité du monde. En résumé, l'engagement contemporain est flexible, pluraliste et réfléchi, loin des modèles collectifs ou partisans traditionnels. […]
S'engager dans un mouvement anarchiste n'est pas l'application d'un plan. Ce n'est pas l'idée d'une expression d'un futur mais l'idée de l'expression de diverses visions du futur.
L'engagement militant ne doit pas rimer avec dogme idéologique. Pour répondre à cela, nous militons pour un anarchisme sans scissions ni rapports de force. Un anarchisme où chaque voix compte. Un anarchisme où chaque voie personnelle est justifiable si elle ne met pas en contradiction3 la vie d'autrui. Quel que soit le désir exprimé par une personne, il se doit d'être exprimé. Bien que cela puisse nous irriter, nous devons entendre les désirs des autres4. Nous ne pouvons pas « interdire » la possibilité future de l'existence de certaines pratiques5.
Nous militons alors pour un anarchisme qui porte la voix de tous.tes au même niveau. Pour que l'indépendance des individus soit véritable. Pour qu'aucunes visions du monde ne leur soient imposées. […]
Le milieu militant ne doit pas imposer une manière de vivre, ni des pratiques criminelles, à ses membres6. Les individus ne pourront pas militer si cela nécessite obligatoirement de confronter la police ou de lire Trotski. Nous critiquons alors ce militantisme « identitaire » accessible que par une faible partie de personne. A l'inverse nous pensons que toutes les personnes doivent pouvoir s'engager. Nous souhaitons que les luttes personnelles ne soient pas étouffées, que des collaborations se fassent sans entrisme, que des passerelles se forment entre les villes et les quartiers.
Nous souhaitons que la décentralisation de nos organisations brise l'identitarisme militant. [...]
Les compétences « utiles » ou « efficaces » ne sont pas listées dans un manuel. Il ne doit pas exister de conditions pour militer. Mais nos libertés de pratiques sont limitées par le fonctionnement des collectifs actuels. Parfois centrés sur des pratiques « militaires »7 ou bien « littéraires ».
Toutes les organisations se considèrent plus ou moins « ouvertes » aux propositions, mais leur fonctionnement restreigne très souvent les militant.es. Les propositions non-habituelles sont souvent considérées comme non-efficaces ou hors contexte. Alors il n'existe pas énormément de moyen d'exprimer des activités « non-conventionnelles ». [...]
Il est difficile de s'y identifier car une fracture sociale existe entre les individus et les militant.es. De s'y investir car les individus ne se retrouvent pas dans les compétences « militantes » types. D'y plébisciter parce que les collectifs ne proposent pas de plateforme décisionnelle libre et d'organisation fluide.
Dans « Articles politiques » Errico Malatesta8 veut donner une conception politique à travers des évènements et des idées. Plaçant les expériences au-dessus des idées, Malatesta est l'une des dernières figures de l'anarchisme « d'après-avant-guerre »9 portant une vision fluide, flexible et critique des activités anarchistes et révolutionnaires.
Critique du syndicalisme révolutionnaire dès 190710 et plus tard de la « plateforme », il alertait les militant.es espagnol.es sur la tactique du « syndicat unique » et de sa nature bureaucratique en 1931. Avant la guerre civile Espagnole. Tout en étant aussi critique de l'entre-soi anti-organisationnel qui ne mène à aucun changement de société. En contact avec Kropotkine, Bakounine et bien d'autres, son expérience est proche de la nôtre. Car comme lui, nos idées se formalisent énormément par le biais des théories pensées dans le passé. Comme lui, nous n'avons pas la volonté de théoriser de nouveau l'anarchisme. Comme lui, nous souhaitons plutôt amener l'anarchisme à la pratique par de nouveaux outils.
Tout le parcours de Errico est défini par le rejet de l'autorité des théories établies en dogmes, des organisations bureaucratiques aliénantes ou bien des figures de martyrs. L'idée même de son principe de gradualisme n'est pas gravé dans le marbre. C'est un composite d'idées et de pratiques pour que nos désirs11 de changement de la société soient comblés12. De cette manière, diverses pratiques et activités prennent vie aujourd'hui sans que la quête de la révolution parfaite ne les écrase. » – Extrait de « Les Raisons De La Colère – Organisations Incapables » - Crabi – 28 avril 2025
Matérialisme et individualisme
« Les forces motrices qui se trouvent à la base de l'évolution historique des sociétés humaines, ne sont nullement mystiques ou spirituelles (Dieu, idées, volonté, etc…), mais purement et simplement matérielles (cosmique, géographiques, biologiques, physiques, chimiques, etc…). Une telle interprétation de la formule du matérialisme historique rallierait certainement les suffrages de l'écrasante majorité des anarchistes. Et ce fut précisément Kropotkine qui, en tant que naturaliste, établit et précisa cette thèse. Ce fut lui qui préconisa l'application des méthodes naturalistes à l'étude des phénomènes sociaux. Ce fut encore lui qui plaça l'élément biologique à la base de l'évolution de l'homme et de la société humaine. » — Matérialisme historique — Voline13
Loin de couvrir le sujet complet du matérialisme, cette partie présente les luttes matérialistes individuelles. Celles qui, malgré les doctrines sectaires, visent à permettre à nos individualités d'exister.
Les anarchistes investissent alors depuis bientôt deux siècles tous les milieux sociaux tant bien dans une logique d'entraide et que dans une logique d'émancipation sociale : aucun.e individu ne peut être laissé.e dans la souffrance dans l'attente d'un changement global de la société14.
Alors, sans changement possible sociétale, il fut pensée une conception individualiste de ce matérialisme. Un matérialisme individualiste permettant notammment la remise en cause permanente de nos mœurs via le prisme de l'individu.
« Je me contenterai d'envisager le matérialisme au point de vue particulier de notre individualisme anarchiste, autrement dit d'un individualisme qui s'insoucie complètement des restrictions et des constrictions d'ordre archiste15, cet archisme fût-il religieux ou civil. Qui dit individu dit réalité. Parler de matérialisme, d'autre part et pour nous, est synonyme de parler de réel. Rien ne nous intéresse en dehors du réel, du sensible, du tangible individuellement, voilà notre matérialisme. […]
Pour vivre un tel individualisme qui veut rayonner, porter, créer l'amour de la joie de vivre, il faut jouir d'une bonne santé, d'une riche, d'une robuste constitution interne.
Tout le monde n'est pas apte, par exemple, à assouvir les appétits de la sensibilité qu'on a déclenchée chez autrui. Et cette santé-là ne dépend pas d'un régime thérapeutique, n'est pas œuvre d'imagination, ne s'acquiert pas dans les manuels.
Pour la posséder, il faut avoir été forgé et reforgé sur l'enclume de la variété et de la diversité expérimentale ; avoir été trempé et retrempé dans le torrent des actions et réactions de l'enthousiasme pour la vie. Il faut avoir aimé la joie de vivre jusqu'à préférer disparaître plutôt que d'y renoncer. Telles sont les lignes de développement de notre matérialisme individualiste. » — Matérialisme Individualiste — E. Armand16
Transidentité
Comme toutes luttes sociétales, la lutte associée à la transidentité est matérialiste : Les oppressions transphobes sont causées par les administrations et institutions d'État, les religions et traditions, par ceux/celles qui les maintiennent et par celles/ceux qui les soutiennent.
Mais c'est une lutte qui nécessite un travail individuel. Car la transidentité ne peut se contenir sans souffrance personnelle. Dans le militantisme, certaines luttes d'image/de consommation/ de boycott sont « évitables » sans conséquences personnelles. Par exemple, le végétarianisme est un acte de boycot qui n'impacte pas directement l'individu ou la société dont il fait partie17. A l'inverse, la lutte trans est intraséquement matérialiste et individualiste : il est difficile de renier son identité sans en souffrir, et il est impossible de vivre sans la société. Ce qui implique que l'individu doit inévitablement s'exposer aux dangers, se confronter son quotidien et changer ses interactions sociales.
Sans attente du changement, il nous ait primordial d'imposer notre identité personnel. Sans attente de la révolution, il nous ait crucial d'imposer des alternatives sociales pour vivre.
Aujourd'hui, en utilisant les mots d'E. Armand, nous décidons de « forger notre santé » pour affirmer notre réel, notre joie de vivre, malgré les conditions difficiles de cette société. Il nous faut forger alors des collectifs, des communautés et des alternatives libres et transidentitaires : collectif non-mixte, rencontre entre trans, groupes affinitaires etc.
« Je suis. Apparence, phénomène ; ou bien réalité, qu'importe. Je suis, c'est-à-dire que je me sens exister comme distinct du milieu. Je me sens: un individu.
J'ai des besoins. Les satisfaire me donne de la joie, du bonheur. Mon bonheur se mesure à la possibilité de satisfaction, à ma puissance. Ma peine, ma souffrance, est la mesure exacte de mon impuissance. Mon activité, qui a pour but constant, la conquête du bonheur, s'exerce à la fois sur le monde minéral, végétal, animal et sur les autres individus de mon espèce. Mais tout, dans l'Univers, lutte, envahit, absorbe. Malheur aux faibles. Seul, j'ai : tout, comme ennemi. Aussi, je recherche la société des autres individus, trop faibles aussi pour vivre seuls. Je passe contrat avec eux. Un contrat qui soit susceptible d'augmenter notre puissance à tous, qui, par conséquent, sauvegarde notre indépendance. Mon contrat, c'est une assurance contre l'intervention des autres Hommes dans ma, recherche du bonheur. C'est le seul contrat social que je peux accepter. Mais je passe d'autres contrats avec des individus désireux comme moi de conquérir telle ou telle jouissance. Le but atteint, le contrat cesse.
Dans la société actuelle, il existe un « contrat social ». Je n'ai pas été appelé à en discuter les termes. Je ne l'accepte pas. Même quand une clause m'est favorable. Ce contrat, on me l'impose. Selon les circonstances, j'en dénonce l'arbitraire. Je lutte pour son abolition. Faible, j'emploie la ruse. En attendant que plusieurs faiblesses s'unissent, pour refuser la reconnaissance des « lois », je désobéis seul, en évitant : le gendarme, le juge, le soldat. Ce contrat unilatéral est basé sur la Force ou le Sophisme. Sa seule réalité réside dans l'ignorance des individus à qui on l'impose. Ceux-ci étant de beaucoup le plus grand nombre, il est évident qu'ils pourraient être la force. Leur acceptation vient de ce qu'ils croient le contrat juste. Cette croyance vient de ce qu'ils n'examinent pas les « valeurs sociales » : Dieu, Patrie, Intérêt général, etc. ; et les Lois qui en découlent : Morale ;Service Militaire, guerre ; Propriété, paupérisme moral et matériel. Aussi la forme principale de résistance et de lutte des individualistes à ma façon, porte-t-elle, sur la provocation à l'examen.
Montrer le mensonge des termes, le sophisme des raisonnements, c'est saper l'organisation imposée. Tendre les esprits, vers la. recherche des contrats libres et préparer la rupture définitive, violente ou non du contrat autoritaire, telle est notre propagande. En résumé :
Hors l'autorité, vivre le plus intensément possible, tout de suite, aujourd'hui ; et préparer pour demain un terrain plus riche en expériences.» —Mon Individualisme — A. Lapeyre 18
Des témoignages personnelles permettent de soutenir nos idées. Au delà de grand mots et de la philosophie, il existe bien des cas personnelles, des revendications, des travaux et des représentations qui nous permettent de parler de la lutte transidentitaire.
« Ayant pris conscience de ma transidentité et non-binarité il y a seulement 9 mois et n'étant pas sorti-e du placard dans tous mes cercles sociaux, j'ai pour le moment été épargné.e de la plupart des violences auxquelles les personnes transgenres - notamment les femmes transgenres – sont régulièrement exposées. En revenant sur mon parcours, je me dis que cette prise de conscience aurait pu advenir plus tôt avec davantage de représentations, notamment de représentations positives et de représentations de personnes transgenres en tant que personnes «ordinaires». Il en va du même du côté de l'éducation à la thématique de la transidentité ; une absence totale d'éducation sur ce sujet, dans ma famille comme à l'école. À l'âge de 11 ans, lorsque j'essayai la lingerie de ma mère en lui la prenant sur l'étendage, je gardai cela secret, déjà conscient-e des normes de genre en vigueur dans notre société.
Par ailleurs, lorsque je lisais des œuvres de fiction où des personnages hommes pouvaient devenir des femmes, je me sentais proche de ces personnages et éprouvais le désir de faire de même. Toutefois, je pensais que ce n'était que de la fiction et ignorais tout des personnes ne rentrant pas dans les normes de genre. Je n'ai pas le souvenir d'avoir entendu de discours transphobes ou caricaturaux dans mon milieu familial, mais je n'ai pas non plus le souvenir que cela ait été un véritable sujet de discussion.
En revanche, jai le souvenir d'un épisode particulièrement marquant, d'un repas avec ma mère et mon frère. Je devais être au lycée ou au début de mes études supérieures et, alors que nous dînions dans la cuisine, mon frère nous demanda des idées de déguisement pour une soirée à laquelle il était convié. La seule consigne était d'avoir un déguisement d'une chose dont le mot commence par la lettre « B ». Après avoir réfléchit quelques instants, je lui suggérai de s'habiller en Barbie, mi-sérieux, mi pour plaisanter. Mon frère fut immédiatement emballé par l'idée. Ma mère, en revanche, sembla très contrariée et, sur un ton très sérieux et très rare, nous défendit de nous « habiller en fille ». J'ai été très surpris de la réaction de ma mère et il se peut qu'inconsciemment elle m'ait atteint plus profondément, car il m'arrivait secrètement de « m'habiller en fille ». Plus tard, lors de ma première année d'étude à Lyon, j'ai commencé à explorer plus ouvertement la partie féminine de mon identité, sans néanmoins me définir comme une personne transgenre ou non-binaire, principalement du fait de ma méconnaissance sur le sujet.
J'ai demandé à une amie de me travestir, de me maquiller et de me prêter ses habits. J'ai alors souhaité partager des photos de cette expérience à des amis du lycée à qui je partageais tout à cette époque. Cela a entraîné des réactions négatives (on m'a dit que c'était « dégénéré ») et moqueuses de leur part. […]
Chose dont je ne me souvenais pas, qui avait été effacé de ma mémoire, j'avais affirmé à ces mêmes amis que je n'étais ni femme, ni homme à l'intérieur. Les années qui ont suivies, pendant 2-3 ans, j'ai occulté presque entièrement les questionnements que j'avais sur mon genre. Ce n'est que récemment, en février 2024, que j'ai réalisé mon coming-in. Depuis mon coming-in et le début de mon coming-out, certaines choses ont changé. D'abord, je réalise que j'ai intériorisé certaines injonctions à la féminité/ pesant sur le corps des femmes. Je n'en avais jamais pris conscience auparavant, car elles n'étaient pas pertinentes dans mon vécu d'homme. Certaines injonctions sont soudainement devenues pertinentes quand je me regarde dans la glace et passe de plus en plus de temps à scruter les soupçons de masculinité pouvant « trahir » mon « femode ». Dans la rue, j'ai pour l'instant eu le droit qu'à quelques regards insistants et une fois des commentaires déplacés alors que je faisais du vélo avec une amie. Autrement, j'évolue actuellement dans des cadres sûrs et n'ai pas été victime de violences interpersonnelles.» — 30/11/2024 — Esté
La FA est Intersectionnelle
Une structure qui sert l’individu sans catégorisation
Les objectifs de la FA
Les anarchistes luttent pour une société libre, sans classe ni État, ayant comme buts premiers :
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L'égalité sociale, économique de tous les individus.
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La possession collective ou individuelle des moyens de production et de distribution, excluant toute possibilité pour certains de vivre en exploitant le travail des autres.
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L'égalité dès la naissance des moyens de développement, c'est-à-dire d'éducation et d'instruction dans tous les domaines de la science, de l'industrie et des arts.
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L'organisation sociale sur les bases de la libre fédération des producteurs et des consommateurs, faite et modifiable selon la volonté de leurs composants.
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La libre union des individus selon leurs convenances et leurs affinités.
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Le droit absolu pour tout individu d'exprimer ses opinions.
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L'abolition du salariat, de toutes les institutions étatiques et formes d'oppression qui permettent et maintiennent l'exploitation de l'Homme par l'Homme, ce qui implique la lutte contre le sexisme et les dominations de genre, contre le patriotisme et le racisme, contre les religions et les mysticismes même s'ils se cachent sous le manteau de la science, et pour la fraternisation de tous les groupes humains et l'abolition des frontières.
C'est la société entière que nous voulons reconstruire sur une base de respect et d'entraide, non pour un individu, une classe ou un parti, mais pour tous les individus ; la question sociale ne pouvant être résolue définitivement et réellement qu'à l'échelle mondiale.
Pourquoi la FA doit fédérer les individus et leurs luttes
La FA fédère les individus et de la même manière leurs luttes. Elle ne porte pas de luttes sans que ses membres ne les portent d'eux et d'elles-mêmes19. L'expression des individus amène la FA à toujours porter, à travers ses outils et ses moyens d'action, de nouvelles luttes.
Ces luttes et ces idées sont, du point de vue de l'individu, propres à son vécu, et non définies par la FA. Dans la Fédération l'activité de l'individu ne se fait qu'en fonction de sa volonté et de ses moyens. Dans le même sens, cela permet l'autocritique de la fédération dans son ensemble et l'évolution de ses motions20. Propre à son vécu car lors d'une discussion libre quelconque, une lutte est exprimée différemment par les individus spécifiques présent.es. La lutte prend forme selon les convictions exprimées et leurs complexités. Par conséquent une lutte est propre aux personnes et à leurs convictions.
Nul doute que si les expressions ne sont pas libres, et que la définition finale est écrite par certains rapports de forces21, alors elles seront biaisées… Par exemple, si l'on se réfère au féminisme, la lutte s'est exprimée de manière complètement différente selon les collectifs. Les assemblées en non-mixité et les assemblées ouvertes à tous.tes donnent des résultats complètement différents.
Si on a l'opportunité de participer aux deux pratiques, il est évident que lorsque les opprimé.es sont libres de s'exprimer, sans rapports de forces prononcés, alors des luttes plus ciblées se définissent de manière plus efficace. Au contraire, dans des espaces qui ne sont pas destinés aux opprimé.es, les luttes qu'iels expriment sont souvent minimisées, ignorées ou rapportées au second plan.22
Seule une organisation permettant l'expression de tous.tes les opprimé.es portera la lutte contre toutes les oppressions. A travers, non pas une structure hiérarchique, autoritaire et bureaucratique mais, une structure anarchiste, autogérée et fluide.
L'expression de toutes les luttes dans la fédération amène les individus à défendre des décisions qui prennent en compte le plus de sections de luttes possibles, prenant en compte des oppressions multiples. Les oppressions se croisent et ont des effets propres à leur accumulation sur les individus. Ainsi, il est possible de couvrir une pluralité de luttes et de développer nos moyens d'actions.
L'oppression que les individus subissent, diffère selon leurs situations et leur individualité. Il est alors pour nous impensable de soutenir des organisations qui ne prennent pas en compte cette réalité. Cette différence est peut-être anodine pour d'autres organisation mais cruciale pour nous. Elle définit notre stratégie politique : nous refusons que la lutte contre toutes les oppressions puisse être portée par une organisation qui en minimise certaines par soucis d' « efficacité » 23.
La FA fédère les collectifs anarchistes, leurs moyens et leurs besoins. Les besoins des collectifs s'expriment de la même manière que ceux des individus. Etant donné que la FA sert l'individu et non une tendance portée par un collectif, alors l'expression d'une idée portée par un collectif se mêle avec celle des individus. En fait, la FA est un outil, elle ne permet pas d'imposer un rapport de force d'un individu sur un collectif, et vice-versa. Enfin, les moyens apportés par les collectifs et les individus se partagent en fonction de ces mêmes collectifs et individus.
La liberté d'expression des individus et leurs collectifs est alors étendue à ses mêmes individus et collectifs.
La Synthèse anarchiste comme engrenage
Coopération des tendances anarchistes à la fédération
L'action de la Fédération anarchiste est basée avant tout sur la défense des exploités et sur leurs revendications révolutionnaires ; mais sans que soit perdu de vue le fait que ce sont à la fois les classes et les positions d'esprit qui s'opposent à l'anarchie. Cette action est menée sur tous les plans de l'activité humaine, selon les vues et les moyens de chaque tendance. Pour cette raison, la Fédération anarchiste reconnaît:
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La possibilité et la nécessité de l'existence de toutes les tendances libertaires au sein de l'organisation.
L'autonomie de chaque groupe. -
La responsabilité personnelle et non collective.
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L'organe du mouvement, le Monde Libertaire, ne peut être l'organe d'une seule tendance ; celles-ci ont donc toute possibilité d'éditer des organes particuliers, avec l'assurance que l'organe du mouvement leur accordera toute publicité, ainsi d'ailleurs qu'à toute activité s'exerçant dans le cadre de la culture, de la recherche, de l'action ou de la propagande anarchiste.
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Des relations cordiales, compréhensives, avec les mouvements allant dans le sens anarchiste sur un point particulier.
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La révocabilité des secrétaires et mandatés.
Enfin, lorsqu'une tendance engage une action, dès que cette action n'est pas contraire aux idées de base de l'anarchisme, les autres tendances, si elles ne sont pas d'accord pour participer à cette action, observent à son égard une abstention amicale.
La critique de cette action demeure libre après l'événement. Les groupes ont la faculté de se donner l'orientation de leur choix : anarcho-syndicalisme, communiste-anarchiste, néo-malthusienne, anarcho-pacifiste… Ils ont naturellement la possibilité de cumuler toutes ces tendances ou de ne se déclarer d'aucune. Des régions peuvent être formées et ne peuvent être que sur l'initiative des groupes les composants, le Comité des Relations ne pouvant apporter que des suggestions dans ce domaine.
Croisement de l’intersectionnalité et de la synthèse
Les deux rouages ne peuvent qu'être liés. L'intersectionnalité repose sur l'horizontalité des idées et la synthèse, en quelque sorte, sur l'horizontalité des moyens d'actions. Le féminisme, comme l'écologie radicale, ont créé des organisations horizontales, intersectionnelles, illégales et autonomes comptant des milliers de membres, comme quoi les concepts de l'anarchisme ne sont pas morts. Bien au contraire, ces concepts sont partout. Alors pour contre-carré la venue et l'implantation de mouvements de types maoïstes dans l'ensemble des luttes, nous devons réorganiser nos façons de procéder.
L'organisation synthétiste de la FA fédère :
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Les individus et de la même manière leurs luttes
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Les collectifs anarchistes, leurs moyens et leurs besoins
L'intersectionnalité c'est le croisement :
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D'oppressions impactant les individus différemment selon leurs situations et leur individualité
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Des luttes et des idées du point de vue de l'individu dépendamment de son vécu et ses expériences
La coopération des individus dans une structure synthétiste et intersectionnelle permet alors que :
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La liberté d'expression des individus et leurs collectifs soit étendue à ses mêmes individus et collectifs.
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Les moyens d'actions des individus et leurs collectifs soient étendus à ses mêmes individus et collectifs.
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L'individu puisse exprimer ses tendances, ses luttes et ses idées
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Les individus ne soient pas hiérarchisé.es
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Les oppressions subies par ses mêmes individus, et les luttes en découlant, ne soient pas hiérarchisées
Pour nous, une structure ne répondant pas à ces derniers points peut difficilement se qualifier d'anarchiste. Aucune raison ne peut exister pour catégoriser des individus et restreindre leur liberté. Comme aucune raison ne devrait amener une organisation anarchiste à ignorer l'existence d'oppressions subies par ses membres 24. Surtout pour des soucis de pseudo « efficacité ». Le changement de société se fera par la lutte contre toutes les oppressions. Pour qu'aucune de ces oppressions ne puissent vivre dans notre structure, et dans notre futur.
Nous rappelons que le dicton « a chacun.es selon ses besoins, a chacun.es selon ses moyens » n'a de sens que si chaque individu à la liberté d'agir selon ses moyens – ses possibles handicap et capacités fluctuantes – et selon ses besoins – ses luttes personnelles, ses désirs et ses volontés.
Enfin, sans la prise en compte égale de toutes les tendances propres aux individus 25, la synthèse anarchiste ne peut être complète. La synthèse anarchiste est intersectionnelle par définition car elle n'impose pas de plan politique strict mais une coopération des tendances propres aux anarchistes. Evidemment, nous ne pouvons pas définir la société de demain mais nous pouvons, autant que faire se peut, établir notre organisation. Aujourd'hui nous choisissons alors une Fédération qui sert les individus et tous.tes les opprimé.es.
Pour que demain, les individus puissent se retrouver autour de méthodes rôdées et émancipatrices au possible.
Pour que demain, le résultat de nos révoltes soit le moins flou possible.
Pour que demain, nous évitions les erreurs du passé au possible.
Pour que demain, aucune organisation ne puisse nous manipuler et nous fusiller.
Pour que demain, l'avenir soit à la liberté et non à la dictature.
References
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Docteure en sociologie, licenciée en communication sociale et titulaire d'un diplôme de troisième cycle en études des pays en développement (UCL). ↩
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Jacques Ion est sociologue, directeur de recherches au CNRS, membre du Centre de recherches et d'études sociologiques appliquées de la Loire (Crésal). ↩
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Si l'opinion ne souhaite pas l'oppression d'une identité/minorité/classe/communautés etc. ↩
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J'entends ici l'expression de désirs de changement de société dans une optique anarchiste. Un changement sans idées au-dessus des autres ou bien d'organisations au-dessus des individus. ↩
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Du travail du sexe à l'existence de communautés sociales diverses. En excluant toutes les pratiques qui sont considérées aliénantes et autoritaires (la religion ou des communautés autoritaires) imposant des réalités ou des fonctionnements à des personnes ne les pratiquant pas. ↩
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Petite précision, ici n'est pas de dire que les situations « dangereuses » ne peuvent et ne doivent pas exister. Mais qu'il n'est pas viable de cultiver le sacrifice des militant.es dans des causes données et de ne pas donner leur donner le choix. ↩
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A l'image des groupes antifascistes qui ne propose que le combat physique ou bien l'entrainement militaire comme activités. Leur existence étant limitée en nombre, les antifascistes qui souhaiteraient faire autrement se retrouvent isolé.es ↩
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Traduit de l'italien et présenté par Frank Mintz. ↩
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Car il a vécu avant les deux guerres mondiales mais aussi après la première. ↩
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Il exprime son point de vue sur cette question au congrès international anarchiste d'Amsterdam en 1907 ↩
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Nos désirs personnels et collectifs soient comblés sans qu'une autorité domine, que des individus soient ignorées ou bien que des massacres prennent place pour imposer un autoritarisme. ↩
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J'aurai aimé écrire désordres. ↩
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L'Encyclopédie Anarchiste – M – Voline, Vsevolod Mikhaïlovitch Eichenbaum (en russe : Всеволод Михайлович Эйхенбаум) dit Voline (Волин), né le 11 août 1882 à Voronej (Empire russe) et mort le 18 septembre 1945 à Paris, est un poète et militant libertaire russe, théoricien de la synthèse anarchiste. ↩
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Autrement dit, nous ne souhaitons pas attendre la révolution pour mettre en place l'alternative sociale. ↩
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ARCHIES. (du grec arché). Cette terminaison désigne les différents pouvoirs qui exercent dans la société l'autorité et le commandement, pouvoirs néfastes à tous les points de vue, incapables d'assurer l'ordre véritable, qu'il s'agisse de la monarchie (monos, un seul), pouvoir laissé à l'arbitraire d'un individu, ou de l'oligarchie (oligos, peu nombreux), pouvoir d'une clique (une olig-archie d'hommes d'affaires, de politiciens, de guerriers, etc…, asservissant le monde à ses caprices, — cent tyrans au lieu d'un), ou de toutes les archies passées, présentes et futures ↩
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L'Encyclopédie Anarchiste – M – E.Armand, E. Armand (et non Émile), né le 26 mars 1872 dans le 11e arrondissement de Paris et mort le 19 février 1962 à Rouen, est le pseudonyme de Lucien Ernest Juin, un militant libertaire individualiste, antimilitariste et défenseur acharné de la liberté sexuelle. ↩
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Nous pourions dire que l'impact existe mais qu'il reste hasardeux et très moral. Une personne végétarienne ne va pas affronté les abatoirs directement. Dans l'absence d'engagement dans des collectifs et des mouvements, cette activité n'a pas d'effet sur l'individu mise à part sur sa bonne conscience... ↩
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L'Encyclopédie Anarchiste — I — Individualisme (Mon)— A. Lapeyre,Justin Aristide Lapeyre, né le 31 janvier 1899 à Monguilhem (Gers) et mort le 23 mars 1974 à Bordeaux (Gironde), est un militant libertaire, anarcho-syndicaliste, libre-penseur, anticlérical, pacifiste, pro-avortement et antimilitariste. ↩
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L'inverse serait qu'elle puisse porter et imposer des points de vue aux individus. A l'image d'un Parti politique. ↩
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Les motions de congrès permettent la visibilité de luttes actuelles diverses. Leurs intentions diffèrent en fonction des discussions qui ont lieu au congrès tous les ans. Elles donnent les lignes politiques actuelles de l'organisation. ↩
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On entend par rapport de force une relation de conflit entre plusieurs parties qui opposent leurs pouvoirs, ou en un sens plus littéral leurs forces, que cette force soit physique, psychique, économique, politique, religieuse, militaire. Ces rapports de force amènent l'étranglement de certaines opinions pour en valoriser d'autres. On retrouve souvent dans les organisations des militant.es plus connu.es que d'autres qui permettent, par leur charisme ou leur ancienneté, de faire taire l'opposition sans réels débats. Autre exemple, des militant.es qui préparent des débats qu'iels savent pouvoir guider pour obtenir un résultat planifié. ↩
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Il est plus que probable d'être qualifié.e de petit.es bourgeois.es lorsque l'expression de son identité dérange le « collectif » et son fonctionnement. Le monde militant regorge de trous duc qui, pour satisfaire leurs petites personnes et pseudo appartenance à la classe prolétaire, lâchent des citations à l'emporte-pièce, l'un.e « n'arrêtera pas de manger de la viande » ou l'autre « ne supporte pas la non-mixité ». ↩
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Beaucoup d'organisations prônent l'efficacité de leur existence lorsqu'elles maximisent une activité donnée. Alors lorsqu'un désaccord majeur apparait, seule une scission peut résoudre le problème. Les deux parties qui en résulteront se revendiquent alors toutes deux efficaces, malgré l'évident disfonctionnement de la méthode et de leur inhabilité à se remettre en question. ↩
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Nous pointons alors du doigt l'UCL, la CGA et autres organisations qui réduisent leur existence à la mise en place d'un fonctionnement avant-gardiste, bureaucratique et rigide. En témoigne toutes les récentes scissions, causées par des combats internes sur l'existence ou non d'oppressions et de luttes… ↩
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On parle ici de toutes les luttes comprises dans l'intersectionnalité en dehors du mutuelisme, de l'anarcho-communisme, du collectivisme etc. ↩