Tactiques et statégies

Auteur : Errico Malatesta, octobre 1925

Source: The Method of Freedom: An Errico Malatesta Reader. In The Anarchist Revolution: Polemical Articles 1924–1931, edited and introduced by Vernon Richards (London: Freedom Press, 1995), p.82–87. Originally published as "Gradualismo," Pensiero e Volantà (Rome) 2, no.12 (1 October 1925).

Note personnelle – Par X, traductrice

Errico Malatesta développe dans cet extrait le « gradualisme révolutionnaire ». Cette notion permet la compréhension de l'insurrectionnalisme. Elle met en défaut le principe de « Révolution » entretenu par les organisations marxistes et anarchistes. Malatesta nous amène à penser que l'anarchisme ne pourra pas prendre forme dans une action militaire seule (aka la Révolution) mais dans une mise en place graduelle de contre-pouvoir et d'alternatives. Et qu'une révolte brusque ne peut mener qu'à l'autoritarisme si elle n'est pas accompagnée par l'émergence d'une société alternative en parallèle.

Traduction de l'anglais au français. Vous pouvez lire l'article original en fin de page. Références en bas de document.


——————————–

Au cours des polémiques qui surgissent entre anarchistes sur la meilleure tactique pour réaliser ou approcher la création d'une société anarchiste - et ce sont des polémiques utiles et même nécessaires quand elles reflètent la tolérance et la confiance mutuelles et évitent les récriminations personnelles - il arrive souvent que les uns reprochent aux autres d'être des gradualistes, et que ces derniers rejettent le terme comme s'il s'agissait d'une insulte.

Pourtant, au sens propre du terme et dans la logique de nos principes, nous sommes tous des gradualistes. Et nous devons tous l'être, quelle que soit la manière dont nous le sommes.

Il est vrai que certains mots, en particulier en politique, changent continuellement de sens et en prennent souvent un qui est tout à fait contraire au sens original, logique et naturel du terme.

C'est le cas du mot "possibiliste". Y a-t-il quelqu'un de sain d'esprit qui puisse sérieusement prétendre vouloir l'impossible ? Pourtant, en France, ce terme est devenu l'étiquette spéciale d'une section du parti socialiste qui suivait l'ancien anarchiste Paul Brousse - et qui était plus disposée que d'autres à renoncer au socialisme en vue d'une coopération impossible avec la démocratie bourgeoise.

Il en va de même pour le mot "opportuniste". Qui veut en effet être un in-opportuniste, et donc renoncer aux opportunités qui se présentent ? Pourtant, en France, le terme d'opportuniste a fini par être appliqué spécifiquement aux partisans de Gambetta[1] et est toujours utilisé dans un sens péjoratif pour désigner une personne ou un parti sans idées ni principes et guidé par des intérêts basiques et à court terme.

Il en va de même pour le mot "transformiste". Qui nierait que tout dans le monde et dans la vie évolue et change ? Qui n'est pas aujourd'hui un "transformateur" ? Pourtant, ce mot a été utilisé pour décrire les politiques corrompues et à court terme des Depretis italiens[2].

Il serait bon de mettre un frein à l'habitude d'attribuer aux mots un sens différent de leur sens originel et qui donne lieu à de telles confusions et incompréhensions. Mais comment le faire, c'est une autre affaire, surtout quand le changement de sens est une tactique délibérée de la part des politiciens pour déguiser leurs objectifs iniques derrière de belles paroles.

Il est donc peut-être vrai que le mot gradualiste, appliqué aux anarchistes, pourrait finir par décrire en fait ceux qui utilisent l'excuse de faire les choses graduellement, au fur et à mesure qu'elles deviennent possibles, et en dernière analyse ne font rien du tout - soit cela, soit ils vont, s'ils vont du tout, dans une direction contraire à l'anarchie. Si tel est le cas, le terme doit être rejeté. Cependant, le sens réel du gradualisme reste le même : tout dans la nature et dans la vie change par degrés, et cela n'est pas moins vrai pour l'anarchie. Elle ne peut apparaître que petit à petit.

________________________________________

Comme je le disais plus haut, l'anarchisme est nécessairement gradualiste.

L'anarchie peut être vue comme la perfection absolue, et il est juste que ce concept reste dans nos esprits, comme un phare pour guider nos pas. Mais il est évident qu'un tel idéal ne peut être atteint d'un seul coup, en passant de l'enfer du présent au paradis tant désiré de l'avenir.

Les partis autoritaires, c'est-à-dire ceux qui croient qu'il est à la fois moral et opportun d'imposer par la force un ordre social donné, peuvent espérer - en vain ! - que lorsqu'ils arriveront au pouvoir, ils pourront, en utilisant les lois, les décrets… et les gendarmes, soumettre indéfiniment tout le monde à leur volonté.

Mais de tels espoirs et souhaits sont inconcevables pour les anarchistes, car ceux-ci ne cherchent à imposer que le respect de la liberté et comptent sur la force de persuasion et les avantages perçus de la libre coopération pour la réalisation de leurs idéaux.

Cela ne veut pas dire que je crois (comme, par polémique, un journal réformiste peu scrupuleux et mal informé me l'a fait croire) que pour réaliser l'anarchie il faut attendre que tout le monde devienne anarchiste. Je crois au contraire - et c'est pour cela que je suis révolutionnaire - que dans les conditions actuelles, seule une petite minorité, favorisée par des circonstances particulières, peut arriver à concevoir ce qu'est l'anarchie. Ce serait un vœu pieux que d'espérer une conversion générale avant qu'un changement ne se produise réellement dans le type d'environnement dans lequel l'autoritarisme et le privilège prospèrent aujourd'hui. C'est précisément pour cette raison que je crois à la nécessité d'organiser l'avènement de l'anarchie, ou en tout cas de ce degré d'anarchie qui deviendrait progressivement réalisable, dès qu'un degré suffisant de liberté aura été conquis et qu'il existera quelque part un noyau d'anarchistes suffisamment fort numériquement et capable de se suffire à lui-même et d'étendre son influence au niveau local. Je le répète, il faut s'organiser pour appliquer l'anarchie, ou le degré d'anarchie qui devient progressivement possible.

Comme nous ne pouvons pas convertir tout le monde d'un coup et que les nécessités de la vie et les intérêts de la propagande ne nous permettent pas de rester isolés du reste de la société, il faut trouver les moyens de mettre en pratique le plus possible d'anarchie parmi les gens qui ne sont pas anarchistes ou qui ne sont que sympathisants.

Le problème n'est donc pas de savoir s'il faut procéder graduellement, mais de rechercher la voie la plus rapide et la plus sincère qui conduise à la réalisation de nos idéaux.

________________________________________

Dans le monde entier, aujourd'hui, la voie est bloquée par des privilèges conquis, à la suite d'une longue histoire de violences et d'erreurs, par certaines classes qui, outre la supériorité intellectuelle et technique dont elles jouissent du fait de ces privilèges, disposent de forces armées recrutées parmi les classes soumises et les utilisent quand elles le jugent nécessaire, sans scrupules ni retenue.

C'est pourquoi la révolution est nécessaire. La révolution détruit l'état de violence dans lequel nous vivons actuellement et crée les moyens d'une évolution pacifique vers toujours plus de liberté, plus de justice et plus de solidarité.

Quelle doit être la tactique des anarchistes avant, pendant et après la révolution ?

Sans doute la censure nous interdirait-elle de dire ce qu'il faut faire avant la révolution, pour la préparer et pour la faire. En tout cas, c'est un sujet mal traité en présence de l'ennemi. Il est cependant bon de rappeler qu'il faut rester fidèle à soi-même, diffuser la parole et éduquer le plus possible, éviter toute compromission avec l'ennemi et se tenir prêt, au moins en esprit, à saisir toutes les opportunités qui pourraient se présenter.

________________________________________

Et pendant la révolution ?

Je commencerai par dire que nous ne pouvons pas faire la révolution tout seuls et qu'il ne serait pas souhaitable de le faire. Si l'ensemble du pays n'est pas derrière elle, avec tous les intérêts, réels et latents, du peuple, la révolution échouera. Et dans le cas, loin d'être probable, où nous remporterions seuls la victoire, nous nous trouverions dans une position absurdement intenable : soit parce que, par le fait même d'imposer notre volonté, de commander et de contraindre, nous cesserions d'être des anarchistes et détruirions la révolution par notre autoritarisme ; soit parce que, au contraire, nous nous retirerions du terrain, laissant à d'autres, aux buts opposés aux nôtres, le soin de tirer profit de notre effort.

Nous devons donc agir avec toutes les forces progressistes et les partis d'avant-garde pour attirer la masse du peuple dans le mouvement et éveiller son intérêt, afin de permettre à la révolution - dont nous ferions partie, parmi d'autres - de produire ce qu'elle peut.

Cela ne signifie pas que nous devions renoncer à nos objectifs spécifiques. Au contraire, nous devrions rester étroitement unis et distinctement séparés des autres en luttant en faveur de notre programme : l'abolition du pouvoir politique et l'expropriation des capitalistes. Et si, malgré nos efforts, de nouvelles formes de pouvoir apparaissaient pour entraver l'initiative du peuple et imposer leur volonté, nous ne devrions pas y participer, ni leur accorder la moindre reconnaissance. Nous devons faire en sorte que le peuple leur refuse les moyens de gouverner, c'est-à-dire les soldats et les revenus, faire en sorte que ces pouvoirs restent faibles… jusqu'au jour où nous pourrons les écraser une fois pour toutes.

En tout cas, nous devons revendiquer et exiger, par la force s'il le faut, notre pleine autonomie, le droit et les moyens de nous organiser comme nous l'entendons et de mettre en pratique nos propres méthodes.

Et après la révolution, c'est-à-dire après la chute du pouvoir et le triomphe final des forces de l'insurrection ?

________________________________________

C'est là que le gradualisme prend tout son sens.

Nous devons être attentifs aux problèmes pratiques de la vie : la production, le commerce, les communications, les relations entre les groupes anarchistes et ceux qui conservent la foi en l'autorité, entre les collectifs communistes et les individualistes, entre la ville et la campagne. Il faut veiller à utiliser à bon escient les forces de la nature et les matières premières, s'occuper de la distribution industrielle et agricole - selon les conditions qui prévalent à l'époque dans les différents pays - de l'éducation publique, de l'aide à l'enfance et aux handicapés, des services sanitaires et médicaux, de la protection tant contre les criminels de droit commun que contre ceux, plus insidieux, qui continuent à vouloir supprimer la liberté d'autrui dans l'intérêt d'individus et de partis, etc. Les solutions à chaque problème doivent non seulement être les plus économiquement viables, mais aussi répondre aux impératifs de la justice et de la liberté et être les plus susceptibles de laisser ouverte la voie à des améliorations futures. Si nécessaire, la justice, la liberté et la solidarité doivent avoir la priorité sur les avantages économiques.

Il n'est pas nécessaire de penser à tout détruire en croyant que les choses s'arrangeront d'elles-mêmes. Notre civilisation actuelle est le résultat de milliers d'années de développement et a trouvé des moyens de résoudre le problème de la cohabitation de millions et de millions de personnes, souvent entassées dans des zones restreintes, et de la satisfaction de leurs besoins de plus en plus nombreux et de plus en plus complexes. Ces avantages sont réduits - et pour la grande majorité des gens pratiquement refusés - du fait que le développement a été réalisé par des moyens autoritaires et dans l'intérêt de la classe dirigeante. Mais si les règles et les privilèges sont supprimés, les gains réels demeurent : les triomphes de l'humanité sur les forces adverses de la nature, le poids accumulé de l'expérience des générations passées, les habitudes sociables acquises au cours de la longue histoire de la cohabitation humaine, les avantages avérés de l'entraide. Il serait insensé, et d'ailleurs impossible, de renoncer à tout cela.

En d'autres termes, il faut combattre l'autorité et les privilèges, tout en profitant des avantages que la civilisation a conférés. Nous ne devons rien détruire de ce qui satisfait, même mal, les besoins humains - jusqu'à ce que nous ayons quelque chose de mieux à mettre à la place.

Intransigeants à l'égard de toute forme d'imposition ou d'exploitation capitaliste, nous devons être tolérants à l'égard de toutes les conceptions sociales qui prévalent dans les divers groupements humains, pourvu qu'elles ne portent pas atteinte à la liberté et à l'égalité des droits d'autrui. Nous devons nous contenter d'un progrès graduel, tandis que le niveau moral des peuples s'accroît, et avec lui les moyens matériels et intellectuels dont dispose l'humanité, et tout en faisant évidemment tout notre possible, par l'étude, le travail et la propagande, pour hâter l'évolution vers des idéaux de plus en plus élevés.

________________________________________

J'ai trouvé ici plus de problèmes que de solutions. Mais je crois avoir présenté succinctement les critères qui doivent nous guider dans la recherche et l'application des solutions, qui seront certainement nombreuses et varieront selon les circonstances. Mais, en ce qui nous concerne, elles doivent toujours être cohérentes avec les principes fondamentaux de l'anarchisme : personne ne commande personne, personne n'exploite personne.

Il appartient à tous les camarades de réfléchir, d'étudier, de se préparer, et de le faire avec toute la rapidité et la rigueur voulues, car l'époque est "dynamique" et nous devons être prêts à faire face à tout ce qui peut arriver.



Gradualism - Tactics and stategy

English version

Author : Errico Malatesta, October 1925

Source: The Method of Freedom: An Errico Malatesta Reader. In The Anarchist Revolution: Polemical Articles 1924–1931, edited and introduced by Vernon Richards (London: Freedom Press, 1995), p.82–87. Originally published as "Gradualismo," Pensiero e Volantà (Rome) 2, no.12 (1 October 1925).

Personal Note – X, translator

«In this extract, Errico Malatesta develops "revolutionary gradualism". This concept is a gateway to understanding insurrectionalism. It challenges the principle of "Revolution" maintained by Marxist and anarchist organisations. Malatesta leads us to believe that anarchism cannot take shape through military action alone (aka Revolution), but through the gradual establishment of counter-powers and alternatives. And that a revolt can only lead to authoritarianism if it is not accompanied by the emergence of an alternative society at the same time.»



In the course of those polemics which arise among anarchists as to the best tactics for achieving, or approaching the creation of an anarchist society — and they are useful, and indeed necessary arguments when they reflect mutual tolerance and trust and avoid personal recriminations — it often happens that some reproach others with being gradualists, and the latter reject the term as if it were an insult.

Yet the fact is that, in the real sense of the word and given the logic of our principles, we are all gradualists. And all of us, in whatever different ways, have to be.

It is true that certain words, especially in politics, are continually changing their meaning and often assume one that is quite contrary to the original, logical and natural sense of the term.

Thus the word possibilist. Is there anyone of sound mind who would seriously claim to want the impossible? Yet in France the term became the special label of a section of the Socialist Party who were followers of the former anarchist, Paul Brousse — and more willing than others to renounce socialism in pursuit of an impossible cooperation with bourgeois democracy.

Such too is the case with the word opportunist. Who actually wants to be an in-opportunist, and as such renounce what opportunities arise? Yet in France the term opportunist ended up by being applied specifically to followers of Gambetta [1] and is still used in the pejorative sense to mean a person or party without ideas or principles and guided by base and short-term interests.

The same is true of the word transformist. Who would deny that everything in the world and in life evolves and changes? Who today is not a "transformer?" Yet the word was used to describe the corrupt and short-term policies pioneered by the Italian Depretis.[2]

It would be a good thing to put a brake on the habit of attributing to words a meaning that is different from their original sense and which gives rise to such confusion and misunderstanding. But how to do it is another matter, particularly when the change in meaning is a deliberate tactic on the part of politicians to disguise their iniquitous purposes behind fine words.

Maybe it is true, therefore, that the word gradualist, as applied to anarchists, could end up in fact describing those who use the excuse of doing things gradually, as and when they become possible, and in the last analysis do nothing at all — either that or move, if they move at all, in a contrary direction to anarchy. If this is the case the term has to be rejected. Yet the real sense of gradualism remains the same: everything in nature and in life changes by degrees, and this is no less true of anarchy. It can only come about little by little.

As I was saying earlier, anarchism is of necessity gradualist.

Anarchy can be seen as absolute perfection, and it is right that this concept should remain in our minds, like a beacon to guide our steps. But quite obviously, such an ideal cannot be attained in one sudden leap from the hell of the present to the longed-for heaven of the future.

The authoritarian parties, by which I mean those who believe it both moral and expedient to impose a given social order by force, may hope — vain hope! — that when they come to power they can, by using the laws, decrees… and gendarmes subject everybody indefinitely to their will.

But such hopes and wishes are inconceivable for the anarchists, since anarchists seek to impose nothing but respect for liberty and count on the force of persuasion and perceived advantages of free cooperation for the realisation of their ideals.

This does not mean I believe (as, by way of polemic, one unscrupulous and ill-informed reformist paper had me believe) that to achieve anarchy we must wait till everyone becomes an anarchist. On the contrary, I believe — and this is why I'm a revolutionary — that under present conditions only a small minority, favoured by special circumstances, can manage to conceive what anarchy is. It would be wishful thinking to hope for a general conversion before a change actually took place in the kind of environment in which authoritarianism and privilege now flourish. It is precisely for this reason that I believe in the need to organise for the bringing about of anarchy, or any rate that degree of anarchy which would become gradually feasible, as soon as a sufficient amount of freedom has been won and a nucleus of anarchists somewhere exists that is both numerically strong enough and able to be self-sufficient and to spread its influence locally. I repeat, we need to organise ourselves to apply anarchy, or that degree of anarchy which becomes gradually possible.

Since we cannot convert everybody all at once and the necessities of life and the interests of propaganda do not allow us to remain in isolation from the rest of society, ways need to be found to put as much of anarchy as possible into practice among people who are not anarchist or who are only sympathetic.

The problem, therefore, is not whether there is a need to proceed gradually but to seek the quickest and sincerest way that leads to the realisation of our ideals.

Throughout the world today the way is blocked by privileges conquered, as a result of a long history of violence and mistakes, by certain classes which in addition to an intellectual and technical superiority which they enjoy as a result of these privileges, also dispose of armed forces recruited among the subject classes and use them when they think necessary without scruples or restraint.

That is why revolution is necessary. Revolution destroys the state of violence in which we live now, and creates the means for peaceful development towards ever greater freedom, greater justice and greater solidarity.

What should the anarchists' tactics be before, during and after the revolution?

No doubt censorship would forbid us to say what needs to be done before the revolution, in order to prepare for it and to carry it out. In any case, it is a subject badly handled in the presence of the enemy. It is, however, valid to point out that we need to remain true to ourselves, to spread the word and to educate as much as possible, and avoid all compromise with the enemy and to hold ourselves ready, at least in spirit, to seize all opportunities that might arise.

And during the revolution?

Let me begin by saying, we can't make the revolution on our own; nor would it be desirable to do so. Unless the whole of the country is behind it, together with all the interests, both actual and latent, of the people, the revolution will fail. And in the far from probable case that we achieved victory on our own, we should find ourselves in an absurdly untenable position: either because, by the very fact of imposing our will, commanding and constraining, we would cease to be anarchists and destroy the revolution by our authoritarianism; or because, on the contrary, we would retreat from the field, leaving others, with aims opposed to our own, to profit from our effort.

So we should act together with all progressive forces and vanguard parties to attract the mass of the people into the movement and arouse their interest, allowing the revolution — of which we would form a part, among others — to yield what it can.

This does not mean that we should renounce our specific aims. On the contrary, we should have to keep closely united and distinctly separate from the rest in fighting in favour of our programme: the abolition of political power and expropriation of the capitalists. And if, despite our efforts, new forms of power were to arise that seek to obstruct the people's initiative and impose their own will, we must have no part in them, never give them any recognition. We must endeavour to ensure that the people refuse them the means of governing — refuse them, that is, the soldiers and the revenue; see to it that those powers remain weak… until the day comes when we can crush them once and for all.

Anyway, we must lay claim to and demand, with force if needs be, our full autonomy, and the right and the means to organise ourselves as we see fit and to put our own methods into practice.

And after the revolution — that is after the fall of those in power and the final triumph of the forces of insurrection?

This is where gradualism becomes particularly relevant.

We must pay attention to the practical problems of life: production, trade, communications, relations between anarchist groups and those who retain a belief in authority, between communist collectives and individualists, between the city and the countryside. We must make sure to use to our advantage the forces of nature and raw materials, and that we attend to industrial and agricultural distribution — according to the conditions prevailing at the time in the various different countries — public education, childcare and care for the handicapped, health and medical services, protection both against common criminals and those, more insidious, who continue to attempt to suppress the freedom of others in the interests of individuals and parties, etc. The solutions to each problem must not only be the most economically viable ones but must respond to the imperatives of justice and liberty and be those most likely to keep open the way to future improvements. If necessary, justice, liberty and solidarity must take priority over economic benefit.

There is no need to think in terms of destroying everything in the belief that things will look after themselves. Our present civilisation is the result of thousands of years of development and has found some means of solving the problem of how millions and millions of people co-habit, often crowded together in restricted ares, and how their ever-increasing and ever more complex needs can be satisfied. Such benefits are reduced — and for the great majority of people virtually denied — due to the fact that the development has been carried out by authoritarian means and in the interests of the ruling class. But, if the rules and privileges are removed, the real gains remain: the triumphs of humankind over the adverse forces of nature, the accumulated weight of experience of past generations, the sociable habits acquired throughout the long history of human cohabitation, the proven advantages of mutual aid. It would be foolish, and besides impossible, to give up all this.

In other words, we must fight authority and privilege, while taking advantage from the benefits that civilisation has conferred. We must not destroy anything that satisfies human need however badly — until we have something better to put in its place.

Intransigent as we remain to any form of capitalist imposition or exploitation, we must be tolerant of all those social concepts that prevail in the various human groupings, so long as they do not harm the freedom and equal rights of others. We should content ourselves with gradual progress while the moral level of the people grows, and with it, the material and intellectual means available to mankind; and while, clearly, doing all we can, through study, work and propaganda, to hasten development towards ever higher ideals.

I have here come up with more problems than solutions. But I believe I have succinctly presented the criteria which must guide us in the search and application of the solutions, which will certainly be many and vary according to circumstances. But, so far as we are concerned, they must always be consistent with the fundamental principles of anarchism: no-one orders anyone else around, no-one exploits anyone else.

It is the task of all comrades to think, study and prepare — and to do so with all speed and thoroughly because the times are "dynamic" and we must be ready for what might happen.


References:

Français

[1] Léon Gambetta a été un éminent politicien républicain de la Troisième République française, jusqu'à sa mort en 1882.

[2] Agostino Depretis a été neuf fois premier ministre italien entre 1876 et 1887. Au cours de son mandat ininterrompu de 1881 à 1887, il a changé cinq fois de cabinet, soutenu par des majorités qui passaient de la gauche à la droite, en se basant sur la commodité à court terme plutôt que sur des programmes à long terme.

English

1 Léon Gambetta was a prominent republican politician of the French Third Republic, until his death in 1882.

2 Agostino Depretis was Italian prime minister nine times between 1876 and 1887. During his uninterrupted premiership from 1881 to 1887 he changed his cabinet five times, supported by majorities that shifted from the Left to the Right, based on short-term convenience rather than long-term programmes.